Article publié le 9 mars 2022.
Des propositions pour des restaurants administratifs plus éco-responsables
Jour après jour, les découvertes scientifiques récentes confirment un peu plus les conséquences – bonnes ou mauvaises – que notre alimentation fait peser non seulement sur notre santé mais aussi et surtout sur l’environnement. À l’heure où les catastrophes écologiques tendent à se répéter de manière de plus en plus rapprochée, l’Ademe estime que l’alimentation représenterait entre 20 et 50 % de l’empreinte environnementale des Français selon les différents types d’impacts tandis que l’institut carbone 4 considère pour sa part que ce domaine contribue aujourd’hui pour 20 % à notre l’empreinte carbone [1]. Si d’aucuns en doutaient encore, ces quelques chiffres suffisent à prouver à quel point il est urgent de revoir notre modèle alimentaire, et donc, entre autres, de se pencher sur le fonctionnement des restaurants administratifs que beaucoup d’entre nous fréquentent de manière quasi quotidienne.
C’est la raison pour laquelle nous avons cherché à faire émerger un ensemble de propositions pour rendre nos repas plus éco-responsables. Nées en écho aux travaux autour du plan « Insee Vert », ces propositions font l’objet du présent document. Elles sont présentées tout d’abord de manière volontairement condensée, le lecteur intéressé étant invité à cliquer ici pour en connaître le détail ainsi que les principales justifications qui les sous-tendent.
Avant d’en prendre connaissance, nous tenons à préciser que l’approche qui nous a guidés tout au long de ce travail se veut avant tout d’ordre écologique. Même si nous sommes parfaitement conscients de l’importance des enjeux sanitaires et sociaux liés à l’alimentation, nous avons fait le choix de nous concentrer d’abord sur les moyens susceptibles de rendre le fonctionnement de nos restaurants administratifs davantage compatibles avec les exigences environnementales.
Nous entendons aussi rappeler que la satisfaction de cet objectif ne saurait passer uniquement par des mesures locales visant les pratiques de consommation mais nécessite aussi une transformation profonde des modes de production de l’alimentation. La relocalisation des activités agroalimentaires au plus près des populations, le rééquilibrage des relations producteurs/distributeurs, la reconversion de l’agriculture vers une alimentation saine sont autant d’objectifs indispensables qui nécessitent des décisions politiques au plus haut niveau et une planification ambitieuse.
En matière d’économie agricole comme pour le reste, nous affirmons qu’il n’existe pas de capitalisme vert ou de croissance verte. La sauvegarde de notre environnement et le ralentissement du dérèglement climatique nécessite une rupture radicale avec l’ensemble de nos modes de production. Une économie centrée sur l’accumulation, la croissance, la concurrence de tous contre tous et la réalisation de profits est foncièrement vouée à encourager la surproduction, le gaspillage et l’usage de pratiques intensives destructrices de l’environnement.
Au niveau de la fonction publique, il est indispensable que nous reprenions en main l’ensemble de nos restaurations collectives et que les employeurs publics montrent l’exemple en mettant à disposition de l’ensemble des agents une restauration collective de qualité qui prenne en compte les exigences environnementales que nous suggérons plus bas. Cela commence par la présence d’un restaurant collectif pour chaque agent sur son lieu de travail ou à proximité immédiate. Dans notre ministère, les instances de concertation de l’action sociale, le Comité national de l’action sociale (CNAS) et ses déclinaisons départementales (CDAS, comités départementaux d’action sociale) doivent être des leviers d’action associant les personnels usagers de la restauration collective via leurs représentant·e·s à la construction d’une restauration collective pour toutes et tous, démocratique et éco-responsable.
Par ailleurs les employeurs doivent prendre à leur charge les surcoûts éventuels d’une alimentation responsable, via par exemple les plans Insee Vert et Bercy Vert en cours de déploiement. Cette nécessité rejoint notre revendication (dans le cadre du CNAS et des CDAS) d’une augmentation de la subvention ministérielle du repas des agents, notamment pour ceux qui perçoivent les plus basses rémunérations. Cette augmentation doit accompagner des exigences élevées en termes de restauration écoresponsable.
Nous sommes bien conscients que les revendications que nous portons sont susceptibles d’impacter le travail des employés qui y travaillent. Pour cette raison, nous demandons que leurs effectifs soient augmentés en conséquence et que les formations adéquates soient dispensées en cas de besoin, ainsi que le prévoient du reste les dispositions de la loi « Climat et résilience » promulguée en août 2021.
Ce document est aussi l’occasion de dénoncer à nouveau les régressions en matière d’action sociale et particulièrement en matière de restauration collective. De plus en plus nombreux sont les collègues et les établissements dépourvus d’accès à un restaurant collectif. Pourtant les exigences environnementales qui devraient guider l’action publique devraient amener à un renforcement de ce volet de l’action sociale. Force est de constater que ce n’est pas le chemin qui est pris. Nos dirigeants, Macron en tête, communiquent abondamment sur leurs belles intentions en matière environnementale mais s’évertuent dans les faits à maintenir des pratiques basées uniquement sur la profitabilité tout en s’auto-dépossédant des outils indispensable à une véritable politique environnementale. Il est urgent que cela change !
Nos propositions…
…pour « verdir » le contenu de nos assiettes :
• Disposer d’un diagnostic de l’existant, et donc connaître chaque année la part des aliments issus de l’agriculture locale, de l’agriculture bio, du commerce équitable, de produits transformés, d’aliments de saison ainsi que ceux dotés d’un label de qualité achetés dans chacun des restaurants administratifs auxquels ont accès les agents de l’Insee ; connaître également le nombre de repas végétariens proposés en moyenne chaque jour ;
• Augmenter dans chaque restaurant administratif la part des produits locaux, bio et/ou issus du commerce équitable ; adopter une définition exigeante des catégories de produits « durables » que la loi Egalim impose d’introduire dans les lieux de restauration collective ;
• Développer l’offre de repas végétariens et végétaliens en :
→ proposant quotidiennement au moins un repas végétarien équilibré et varié qui ne soit pas un simple assemblage des accompagnements disponibles ;
→ proposant un repas végétalien une fois par semaine en remplacement du repas végétarien quotidien ;
→ assortissant ces repas d’une tarification attractive ;
→ organisant de manière récurrente des journées à thème mettant les alimentations végétarienne et végétalienne à l’honneur ;
• Cesser de proposer dans les restaurants administratifs des aliments produits au sein de serres chauffées, et donc utiliser de préférence des fruits et légumes de saison ; à défaut, recourir à des aliments conservés en chambres froides ou surgelés ; passer parallèlement des contrats avec des distributeurs et des producteurs de produits locaux dont on connaît l’origine et les techniques de production ;
• Ne pas/plus s’approvisionner en produits acheminés par avion, et donc privilégier les produits locaux, les aliments de saison et ne pas importer d’aliments connus pour leur haut degré de fragilité et/ou leur durée de conservation limitée (mangues, asperges, cerises…) ;
• Limiter l’approvisionnement en aliments connus pour être extrêmement gourmands en eau ;
• Ne pas utiliser d’aliments contenant de l’huile de palme ;
• Faire reculer la part des produits transformés ;
• Privilégier les viandes blanches (poulet, canard…) aux viandes rouges (bœuf, agneau…) et s’approvisionner en priorité en viandes issues de l’agriculture biologique ou dotées d’un autre label de qualité et produites localement ;
• Dans la mesure du possible, ne s’approvisionner qu’en poissons issus de modes de pêche compatibles avec la préservation de la ressource halieutique ;
…pour mieux lutter contre le gaspillage alimentaire :
• Connaître les quantités de nourriture jetées chaque année dans chaque restaurant administratif ; disposer de cette information pour chaque grande catégorie d’aliments (viandes, poissons, légumes, fruits…) ;
• Veiller davantage à ce que les usagers reçoivent uniquement la quantité qu’ils souhaitent et non pas une ration qu’ils ne seront pas capables de finir ; leur donner la possibilité de pouvoir se resservir s’ils ont encore faim ;
• Dans la mesure du possible, donner les produits non consommés à des associations ou les solder via des applications ;
• reproposer plusieurs jours d’affilée les restes, dès lors que ceux-ci auront été conservés dans des conditions optimales et demeurent encore consommables d’un point de vue sanitaire.
…pour réduire les déchets générés par les restaurants administratifs :
• (Mieux) valoriser les déchets produits par les restaurants administratifs en :
→ compostant les restes alimentaires ou en les méthanisant ;
→ collectant systématiquement tous les déchets recyclables ;
→ recourant aux systèmes de consignes lorsque c’est possible ;
→ récupérant les huiles de cuisson, le marc de café, les restes de viande et les restes de pain ;
• Le cas échéant, cesser d’utiliser de la vaisselle à usage unique et ne plus proposer de bouteilles d’eau en plastique à la vente ;
• Mieux informer les usagers sur les règles de tri en vigueur ;
• Faire en sorte que les produits d’entretien et de nettoyage (liquide-vaisselle…) utilisés dans les restaurants administratifs soient dotés d’un écolabel ;
• Mettre fin à l’impression automatique des tickets de caisse en privilégiant un système de facturation via des plateformes numériques, éventuellement doublé par l’envoi de SMS.
« Mais qui va donc payer tout ça ? »
Il est certain qu’une partie des mesures qui précèdent pourraient conduire à un renchérissement du prix de nos assiettes. Manger des produits issus de l’agriculture biologique ou du commerce équitable, de la viande de qualité ou bien encore du poisson issu d’un mode de pêche responsable a en effet un coût indéniable.
Aussi réels soient-ils, ces surcoûts méritent toutefois être relativisés au vu des économies plus ou moins substantielles susceptibles de résulter de la mise en œuvre d’une autre partie de nos revendications. Manger davantage de protéines végétales, par exemple, n’est pas seulement bon pour la planète mais l’est aussi souvent pour notre portefeuille. De même, une meilleure lutte contre le gaspillage alimentaire et une meilleure gestion des stocks pourraient contribuer à réduire de manière sensible le coût de fonctionnement des structures de restauration collective que nous fréquentons.
Pour autant, si la mise en œuvre de nos revendications devait engendrer des surcoûts globaux, ceux-ci devraient selon nous être intégralement pris en charge par les pouvoirs publics. En effet, nous estimons qu’au vu des nombreuses vertus qu’il comporte, le passage à un modèle alimentaire plus respectueux de l’environnement justifie un engagement fort de l’État. Aussi demandons-nous que des crédits soient débloqués dans le cadre des plans Insee Vert et Bercy Vert en cours de déploiement pour financer cette transition nécessaire (notamment les formations pour les cuisiniers et l’augmentation des effectifs des agents des restaurants administratif si besoin). Cette revendication nous semble d’autant plus légitime que l’État a beaucoup économisé au plus fort de la crise sanitaire en cessant de fait de subventionner les repas de nombre de ses agents.
Notes
[1] Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique, Carbone 4, juin 2019, p.7