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Article publié le 4 octobre 2018.

La Poste qui cache la privatisation d’une partie du recensement

Mercredi 19 septembre de nombreux agents de l’Insee ont découvert dans la presse une information qui n’avait jamais circulé au sein de l’institut : les postier-e-s seraient amené-e-s à être agents recenseurs.

Pourquoi cette annonce était une surprise et en quoi représente-t-elle un danger ?

En fait l’information d’importance résidait dans une autre information, passée inaperçue pour la plupart d’entre nous : le 3 septembre dernier un amendement à la loi Pacte a été voté pour modifier le recrutement des agents recenseurs :

Les enquêtes de recensement sont effectuées par des agents recenseurs qui sont :

1° soit des agents de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale affectés à cette tâche ou recrutés par eux à cette fin. Lorsque l’activité exercée par un agent recenseur présente un caractère accessoire, elle est exclue de l’interdiction prévue par l’article 25 de la loi n°83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

2° soit des agents d’un prestataire auquel la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale décide de confier la réalisation des enquêtes pour une durée déterminée, dans le cadre d’un marché public.

Ce projet permettrait d’une part d’élargir la possibilité pour les collectivités territoriales d’embaucher leurs propres agents pour être agents recenseurs.
Et d’autre part il permettrait que les communes et EPCI fassent appel à des prestataires après appel d’offre.
Il s’agit bien évidemment d’une privatisation pure et simple, et pour laquelle les contours sont peu précis mais potentiellement alarmants. Même si les motifs de l’amendement précisent que « l’Insee organise et contrôle les opérations », il est clair que cet amendement est un moyen simple d’arriver aux objectifs énoncés au printemps dans le CAP 2022, demandant aux administrations de trouver des missions à externaliser.
A quoi sert une privatisation ? Jamais à l’amélioration du service rendu au public, presque toujours à la dégradation des conditions de travail des salarié-e-s qui l’effectuent quand il existe encore.
Aucune entreprise , dont l’objectif rappelons-le est de faire des bénéfices, ne pourra en faire avec le recensement. C’est donc sa qualité qui sera en jeu, avec un non-respect quasi inévitable des consignes de collecte, et une garantie impossible sur la confidentialité des données recueillies qui pourraient bien intéresser ces entreprises.

Qui a besoin d’un recensement de qualité à un niveau fin ? Les communes en tout premier lieu !

L’État rend la réalisation du recensement difficile pour les communes depuis de nombreuses années avec la baisse des dotations pour le réaliser.
La faiblesse des moyens, en particulier pour les rémunérations des agents recenseurs, rend difficile leur embauche dans de nombreuses communes. Mais ne nous y trompons pas : la privatisation ne serait qu’un contournement de ces difficultés pour des entreprises dont on sait qu’elles proposent une batterie d’indicateurs bien choisis en guise d’engagement du respect de la qualité...pour solde de tout compte !
L’amendement proposé par les députés est indiqué comme à l’initiative de la Poste, qui, il est vrai dispose d’un maillage territorial indéniable, et d’accès privilégié aux immeubles (le fameux pass Vigik). Mais n’oublions pas que La Poste est désormais une société anonyme, même si l’État en est encore actionnaire majoritaire, et que son objectif est de faire des bénéfices. Et si une partie de ses personnels sont encore fonctionnaires et non soumis à des pressions, ses pratiques en terme de précarisation de ses salarié-e-s et de sous-traitance ne sont plus à démontrer. Et enfin si les postier-e-s sont des salarié-e-s de confiance, nous ne portons pas le même avis sur les objectifs des dirigeant-e-s de la Poste.

Que dit la direction de l’Insee que nous avons saisie ?

La direction de l’Insee se défend d’être à l’origine de ce projet, porté par La Poste et par la DGE dans le cadre de la loi Pacte. Elle souligne qu’il ne s’agit que d’une expérimentation pour les années 2020 et 2021, pour laquelle elle a tenu à faire figurer dans le texte de loi qu’un bilan devait être fourni avant toute décision sur une entrée en dur dans la loi. Nous doutons néanmoins de sa capacité à faire valoir sa voix, alors qu’elle reconnaît que la loi a obligé la mise en concurrence des entreprises, allant plus loin que le projet initié par la Poste.
La direction de l’Insee a annoncé cette semaine son contentement sur le fait que le projet Cap 2022 n’aurait pour conséquence ni un changement de statut en agence comme préconisé dans le rapport, ni une influence sur le contour de ses missions.
Si nous nous félicitons effectivement que l’agence n’ait pas été préconisé par le gouvernement, nous voyons que les accrocs au périmètre des missions peuvent venir d’autres façons : les dirigeant-e-s de la Poste ont à plusieurs reprises tenté de récupérer la collecte du recensement, y compris des missions (formation, suivi, contrôle) actuellement dévolues à l’Insee. Le pied dans la porte qu’elle a réussi à imposer dans le projet de loi Pacte invite donc à suivre avec attention les expérimentations à venir !

Le recensement ne peut être rentable qu’au risque de dévoyer sa qualité et sa confidentialité. Or il demeure utile aux collectivités et sa qualité à des niveaux fins doit être préservée : c’est au service public de le faire, avec les moyens nécessaires !

Le 4 octobre 2018

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