Article publié le 5 octobre 2023.
L’indice des prix : on ne veut pas un indice au rabais !
Sa qualité est à mettre au crédit de toutes les équipes qui pallient les sous-investissements de la direction par une très forte implication
L’indice des prix est un indice phare de l’Insee. Il l’était déjà avant la période de regain d’inflation actuelle. Actuellement scruté et analysé, sa qualité est essentielle à sa crédibilité et à son utilisation pour le calcul de nombreux autres indicateurs statistiques et pour son utilisation à la réévaluation de montants légaux.
Mais quand on rentre dans l’organisation de sa production on a pas mal de sueurs froides et on se dit que l’Insee joue avec le feu : entre des dysfonctionnements d’organisation qui demeurent depuis des années, et des manques de moyens criants, beaucoup d’agents sont obligés de sur-investir pour que l’indice reste de qualité.
Entre surcharge de travail et insatisfaction à ne pas pouvoir faire tout ce qu’il y aurait à faire, les postes à l’IPC n’attirent plus guère : c’est la crise des candidatures en début d’année qui nous a menés à essayer de comprendre ce qui coince.
Manque de moyens, comme dans beaucoup d’autres travaux
À la DG, la production de l’indice parallèlement à la nouvelle application a nécessité des bidouillages de postes : obtenus sur des travaux de « changement de base » et de méthodologie, des postes vont être redistribués en partie sur l’atterrissage de la nouvelle application prix (Prisme) qui, sinon, n’aurait pas assez de moyens pour aboutir en temps et en heure… Pas étonnant que le recrutement pour des postes majeurs ait donné des sueurs froides aux équipes : y aurait-il des candidat-e-s en interne ? Après un soulagement après la campagne de mobilité, toutes et tous se disent : mais l’an prochain ?
Les problèmes de recrutement se rencontrent dans la sphère de la fonction publique, et la gestion calamiteuse de la mobilité des A n’y est pas totalement étrangère mais le fait est là : la pression aux prix a repoussé en interne, alors que ce sont des postes techniques et valorisants.
En DR, certains sites fonctionnent avec des lacunes criantes, autant dans les bureaux que sur le terrain.
Le réseau d’enquêtrices et enquêteurs tire la langue entre un programme de travail d’enquêtes très lourd en début d’année. On leur demande toujours plus avec très peu de reconnaissance puisqu’elles et ils sont les précaires de l’Insee (contractuel-le-s avec faible salaire et très peu de progression de carrière).
Mais aussi des défauts d’organisation qui ne datent pas d’hier
Le département Prix/Ménage avait été créé pour un meilleur travail commun entre les deux unités en son sein. Mais MOAE, division pourtant au même niveau que les Prix, est toujours la division qui gère le réseau des enquêtrices et enquêteurs. Et, en cas de difficultés sur la charge de travail ou les calendriers, elle dicte les priorités, « oubliant » d’y intégrer l’IPC Les équipes en région rectifient le tir comme elles peuvent, mais sans la coordination que le département devrait organiser…
L’utilisation d’indicateurs décriés depuis des années, comme les codes Z (relevés non faits) est de ce fait démotivant pour les services des prix qui n’ont pas forcément la main, alors qu’on attend toujours des critères de qualité qui permettraient d’arbitrer les priorités avec plus de pertinence. En effet, quelle robustesse pour l’indice ? Et quelle perte de qualité du fait qu’on ne lance pas des travaux par exemple sur l’énergie, ou bien évidemment le manque de moyens sur le futur changement de base dont la direction a décidé de reporter les moyens après l’atterrissage de Prisme ?
À notre sollicitation, la direction répond que des groupes de travail sont en cours, et qu’Eurostat est pleinement satisfait de la qualité des productions de l’Insee.
Ces réponses ne démontrent pas une inflexion forte dans l’organisation actuelle, même si nous ne désespérons pas de voir des améliorations.
Une coordination prise en défaut à de nombreux niveaux
L’organigramme des prix est incompréhensible pour les agents qui n’ont pas déjà fait plusieurs années dans le milieu, et qui n’ont pas suivi les mille et un ajustements des tâches, à mesure des urgences à traiter.
Entre la DG, les sites, le pôle, l’animation réseau à Lille, les équipes d’informaticiens sur l’indice, la direction de l’informatique, les interlocuteurs peuvent être nombreux…
Difficile de s’y retrouver dans l’harmonisation des consignes : la direction plaide qu’elle ne souhaite pas autant de formalisation que par exemple pour le réseau recensement. Mais cela aboutit régulièrement à des prises de décision à des niveaux non pertinents (informatique, sites prix…) car il n’y a pas de réponse aux questions posées.
Par ailleurs les informaticiens de la production de l’indice sont souvent invisibles quand la direction met à plat l’organigramme comme le 12 septembre en groupe de travail : pourquoi, alors que tant de connaissances tiennent sur les forts investissements développés au fil du temps par certains informaticiens, et dont tout le monde craint le départ en mobilité ?
Les formations initiales sont lacunaires, d’autres (ex-formation accompagnements ou contrôle...) sont inexistantes : la direction promet d’y remédier mais on attend des actes et pas des paroles.
Avec une sous-traitance pour la tablette des relevés assez mal venue !
L’Insee a choisi la sous-traitance pour gérer le parc de tablettes pour les relevés de prix.
Ce choix qui permet d’avoir un parc informatique entretenu (et qui pour l’instant semble efficace, du moins en métropole), a un prix : l’abandon du travail sur les conditions de travail des enquêtrices et enquêteurs. Plus de tests sur les tablettes, et abandon de certains éléments : il faut maintenant savoir bricoler les anciennes housses pour les adapter aux nouvelles tablettes car… il n’y en a pas de disponible.
Dommage, le port de la tablette occasionne des douleurs non négligeables sur la chaîne avant-bras/coude/cou des personnels précaires.
Comme souvent avec la sous-traitance, le sous-traitant Lafi sous-traite une partie de l’activité à une autre entreprise, Digital 4 business, qui a un établissement à l’Ile Maurice : est-ce que l’Insee assume ce travail sous payé ?.
Mais sous-traitance ou pas, le manque de moyens est toujours criant : la DSI de l’Insee a longtemps rechigné à demander un nombre de tablettes suffisant.
Suffisant pour que les sites prix en aient, et aussi… que chaque enquêtrice ou enquêteur en ait.
Mais de l’autre côté, la DSDS, pour faire des économies a décidé d’augmenter drastiquement le nombre d’enquêtrices et enquêteurs faisant des relevés : les « bi-réseaux » sont là pour fournir plus de « souplesse » (mot employé pour ne pas dire flexibilité).
Les intérêts de la DSI et de la DSDS ne convergent pas… dommage !
Par ailleurs l’Insee qui se vante de son plan vert, semble peu concerné par les pratiques d’allers-retours inutiles des tablettes exigés par Lafi lors d’un changement d’utilisateur ou utilisatrice. Bah oui, c’est le sous-traitant ça n’est pas l’Insee !
Un indice qui n’a pas les moyens de se moderniser ni de s’archiver
Des équipes qui cravachent pour assurer la production : et quelques fois pour sortir l’indice à une demi journée près, certain-e-s ont travaillé les week-ends et les soirées pour assurer.
Mais du fait des manques de moyens, l’atterrissage de Prisme, nécessaire, en ne disposant pas de moyens supplémentaires propres va puiser sur des moyens métiers qui pourraient servir à des travaux méthodologiques sur les prix de l’énergie, sur le changement de base à venir : Quel indice est-on en train de fabriquer s’il ne s’adapte pas aux produits actuels, aux modes de ventes qui évoluent rapidement… ?
La gestion de cette application, déjà en production, par des agents en tension, rend difficile la réponse aux nombreuses demandes des régions. Alors même que l’équipe a déjà fait de nombreuses améliorations et de traitements de bogues qui ne figuraient pas dans leurs programmes de travail au long cours, impossible de traiter des éléments pourtant essentiels.
Autre sujet d’intérêt général : l’arrêt des bases Oracle devrait obliger l’Insee à un fort investissement pour archiver les bases des 30 dernières années. Malgré les alertes répétées des agents, ce sujet est lettre morte : comme la mémoire de l’indice donc ? Comment sera-t-il possible d’effectuer les rétropolations nécessaires au-delà des toutes dernières années ?
La gestion des données de caisse est aussi sous-dimensionnée avec des évolutions d’architecture informatique indispensables pour gérer (et stocker !) des quantités de données monstrueuses. Il y a également la mise en place d’adaptations importantes à gérer souvent dans l’urgence suite à des évolutions de format et de contenu des données fournies par des prestataires et qui sont indispensables pour continuer de réaliser les traitements.
L’enquête comparaison spatiale
La direction vante le succès de cette opération. Mais l’histoire n’est pas si brillante. Au final l’enquête a bel et bien été réalisée avec succès, mais à quel prix ? Le manque de moyens pour la coordination s’est avéré difficile à gérer par les Dom où la surcharge de travail occasionnée, bien plus importante qu’en métropole en proportion, n’avait pas été anticipée par la direction. Il a fallu abandonner une partie de l’échantillon en cours d’enquête (et d’autres travaux également) car il n’y avait pas assez d’agents pour tout faire.
Ces constats, effectués auprès de la direction à plusieurs reprises, n’ont pas semblé donner de réactions véhémentes : la direction reconnaît des difficultés, qui existent dans d’autres unités.
Et conclut : cela passera.
Cela passera, peut-être, mais à quelles conditions ?
Nous voulons que les agents aient le temps de faire tout leur travail, sans tomber en burn-out, et sans se limiter à produire un MVP (« minimal viable product », définition plus utilisée dans la production informatique, mais qui nous semble adaptée ici à l’ensemble de la production de l’indice) plus que restreint qui serait pénalisant pour tout le monde, y compris pour la qualité de l’indice.
5 octobre 2023