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Article publié le 22 janvier 2007.

Statistiques ethniques : position des syndicats CGT SUD FO et CFDT de l’Insee

Les statistiques « ethniques » une fausse solution dans le cadre des luttes anti discriminatoires

Les discriminations à caractère raciste nécessitent des moyens de lutte importants

Le débat sur les statistiques « ethniques » est relancé depuis plusieurs mois, dans le contexte de débats plus larges sur les discriminations à caractère raciste. Pour nous, la première question à se poser est bien celle des moyens à mettre en œuvre pour combattre ces discriminations.

Face aux transformations économiques des trente dernières années, aucun des gouvernements successifs n’a su ou voulu mener de politique efficace contre la misère induite par le chômage de masse et la ghettoïsation des populations les plus fragiles. De plus les personnalités politiques de droite, et même certaines de gauche, ont affiché publiquement leur rejet de « ces gens là ». Ils ont ciblé des actions répressives sur les quartiers dits difficiles, refusé en toute impunité d’appliquer les lois permettant d’améliorer la situation (par exemple au niveau du logement) et ont au contraire désigné ces les populations qui y vivent comme populations à risque. Ils ont traqué, raflé, expulsé les sans papiers et les réfugiés…Tout cela a contribué à légitimer une banalisation des discours et comportements racistes.

Par l’absence de politique anti discriminatoire volontariste, des populations intégrées depuis plusieurs générations se voient rejetées et discriminées à cause de la couleur de leur peau et/ou la consonance de leur nom ou encore de leur mode d’habitat (sédentaire ou non). Comment réaliser une intégration économique et sociale dans un tel contexte de chômage-pauvreté-racisme déculpabilisé ?

Voici quelques moyens de lutte que nous soutenons, proposés par des associations ou organisations antiracistes et humanitaires :

· donner aux ghettos urbains des moyens publics permettant une action équivalente à celle des centre-villes en terme d’entretien des logements, d’infrastructures, de système de santé, etc., et renforcés en ce qui concerne l’éducation et la recherche d’emploi ;

· avoir une politique volontariste afin que devienne une réalité l’accès à l’ensemble des filières de formation et de qualification de l’enseignement supérieur pour la jeunesse de ces quartiers ;

· donner un caractère systématique, légal et organisé au « testing », avec procédures rapides de sanctions ;

· veiller à articuler ces politiques dans un cadre de lutte antisexiste ;
· généraliser au niveau de la police un comportement respectueux de la jeunesse et des différences de couleur de peau et en finir avec le délit de faciès ;

· imposer la construction de logements sociaux sans dérogation possible ;

· respecter la loi Besson et condamner les élus qui ne mettent pas en place les terrains d’accueil de qualité nécessaires aux Gens du voyage, arrêter les politiques discriminatoires concernant les Gens du voyage (Droit plein et entier au droit de vote, suppression des quotas de résidence par communes...).

L’ « ethnicisation » des statistiques n’est pas une réponse pertinente. Voici notre démarche et nos propositions.

En respect de la déontologie professionnelle du statisticien, la statistique ne définit et/ou n’utilise des variables que si elles contribuent à une meilleure connaissance scientifique du domaine étudié. En particulier, une collecte ne peut être de qualité que si les questions posées sont acceptées par les personnes interrogées.

En bref, quelques principes énoncés dans la loi informatique et libertés de 1978 sont pour nous des bornes à respecter : les principes de finalité, de pertinence et de proportionnalité, de licéité et de loyauté dans la manière de collecter les données, de transparence sur leur utilisation et le droit d’accès et de rectification par les personnes concernées…

1- Il est nécessaire et légitime de quantifier les discriminations à caractère raciste

La revendication de quantifier les effets des discriminations et d’évaluer les politiques publiques mises en œuvre pour les combattre est légitime. Mais la façon d’y satisfaire nécessite de résoudre de nombreuses questions. Deux d’entre elles sont particulièrement difficiles : la définition des groupes pertinents et la possibilité de bien affecter chaque personne au « bon » groupe.
Ensuite, la mesure des discriminations est complexe. D’autant que cette quantification ne doit pas conduire à opposer ou à classer les discriminations et les discriminés entre eux, ce qui est difficile à garantir. Elle ne peut prendre tout son sens que combinée aux variables quantifiant la catégorie sociale.

2- Utiliser pleinement les données déjà existantes et en favoriser l’accès

Une bonne partie de l’argumentation de celles et ceux qui militent en faveur de la mise en place de nouvelles variables et normes repose sur l’idée selon laquelle la documentation existante serait insuffisante.

Cette idée est inexacte, et sert, de fait, de prétexte à retarder la mise en place de politiques publiques.

La parution récente de « les Immigrés en France » (Insee, 2005) est une illustration de l’existant. Mais d’autres enquêtes de la Statistique Publique (Enquête emploi, enquête logement...) permettent de collecter les informations riches et nécessaires à la connaissance des discriminations. Elles recueillent des données factuelles : celles du lieu de naissance de la
personne et là où cela paraît pertinent, de ses parents ; ainsi que les nationalités de chacun à la naissance. Ce n’est donc pas essentiellement l’absence de connaissance qui freine la possibilité d’agir contre les discriminations.

Nous demandons que le Système Statistique Public rende plus facilement accessible un catalogue de ses sources de données existantes et valorise ses capacités à fournir aux équipes de chercheurs les éléments qui leur permettent de réaliser leurs études.

3- On peut aller au-delà sans créer de statistiques ethniques et sans menacer les libertés

Au-delà des données sur les immigrés et leur descendance, notre réflexion porte sur le niveau légitime et sur le niveau possible de production d’informations chiffrées selon des critères « raciaux », religieux, de couleurs de peau que leurs partisans appellent « ethniques », et qui dépassent les critères de nationalité et d’origine géographique utilisés pour définir les populations immigrées et d’origine immigrée. Cela pose une question essentielle : doit-on et comment peut-on affecter à une personne de tels facteurs « ethniques » pour des statistiques sur les discriminations ? Ainsi par exemple pour la création par certains chercheurs de variables comme « maghrébin », « noir », « musulman », « juif », qui ne reposent à l’évidence sur aucune homogénéité historique, sociale ou culturelle.

Le consensus est large pour mener des enquêtes ad-hoc par sondage sur échantillon, à caractère de recherche, faites par la Statistique Publique, où la dimension de couleur de peau, de ville/quartier d’origine ou de consonance de nom/prénom et leurs conséquences en terme de discrimination seraient éclairées par un faisceau de questions. Il est indispensable que non seulement des chercheurs de disciplines variées, mais aussi des représentants des populations concernées soient consultés sur les sujets à traiter par ces enquêtes, et qu’ils puissent en discuter les résultats avec les autorités. Ces enquêtes faites par les institutions statistiques publiques doivent évidemment être validées par les instances de concertation (Cnis) et de protection des droits des personnes (Cnil). Leurs objectifs de connaissance attendue doivent être bien définis et les informations à collecter pour les atteindre bien précisées. De telles enquêtes ont un potentiel descriptif des discriminations.

Cependant, les expériences étrangères montrent (États-Unis, Grande-Bretagne, Pays-Bas…) que lorsqu’un thème d’enquête implique la définition de catégories « ethniques » les difficultés commencent avec l’affectation des personnes à l’une de ces catégories. En France, les plus opposés aux catégories « ethno-raciales » seraient les immigrés et leurs descendants, selon deux chercheurs de l’Ined qui ont réalisé une enquête exploratoire dans des entreprises adhérentes à la charte contre les discriminations à l’emploi.
Nous avons ainsi une nouvelle preuve que tout n’est pas possible, ni techniquement, ni politiquement : on ne peut pas forcer les gens à se penser dans des catégories où ils ne se reconnaissent pas, d’autant que c’est cette même catégorisation qui contribue aux discriminations ; d’autre part l’identité est multiple et peut varier selon le contexte et le temps. En ne respectant pas ce principe, on rigidifie les catégories. C’est-à-dire que l’on pense les groupes selon ces catégories ce qui produirait dans la société l’effet qu’on veut justement éviter : un comportement communautaire et in fine la compétition entre communautés.

Par ailleurs, le souci d’harmonisation des sources et des méthodes au niveau international ne peut conduire à déroger aux règles éthiques de notre pays pour s’aligner sur des normes communautaristes. L’Allemagne y est également opposée pour les mêmes raisons historiques que la France (création de catégories pendant la période du nazisme).

4- Refuser l’ethnicisation des fichiers administratifs

L’utilisation des fichiers administratifs pour quantifier les discriminations pose le problème le plus grave. Nous nous opposons fermement à ce que des variables dites « ethniques », religieuses ou raciales soient ajoutées, quel qu’en soit le prétexte, dans les fichiers de gestion (qu’ils soient de l’administration ou pas ).

Citons quelques raisons essentielles de cette opposition catégorique :

 le respect des principes de protection des individus contre les abus des fichages fait que les fichiers de gestion administrative ne doivent contenir que les informations nécessaires à la gestion dont ils sont le support. Tout fichier administratif peut être utilisé à des fins statistiques. De manière non réciproque, une fin statistique ne peut pas justifier l’ajout d’information à un fichier de gestion administrative ;

 chacun doit pouvoir être maître de la façon dont ses « identités » sont inscrites dans les fichiers de gestion. C’est un principe des droits de l’Homme. L’âge, le lieu de naissance ou la nationalité sont des variables peu discutables (même si l’indétermination ou le changement de sexe, la méconnaissance du lieu et de la date de naissance, la double nationalité, peuvent altérer ce jugement). Ce n’est pas le cas de la religion, qui est une opinion et n’a pas à être enregistrée, et encore moins pour la « race » et l’ « ethnie » qui sont des créations et donc artificielles ;

 quelles que soient les intentions de départ, une fois les informations introduites dans des fichiers de gestion, on constate qu’elles finissent par être utilisées pour léser des personnes. Une mise en danger des personnes n’est pas impossible, ce ne sont pas les exemples historiques et géographiques, même récents, qui manquent ;

 en pratique, les politiques publiques de lutte contre les discriminations n’ont pas besoin d’informations ainsi détaillées et généralisées.

C’est dans ce contexte que de nombreux statisticiens affirment que la « fin » de la recherche statistique ne peut pas justifier l’utilisation de n’importe quel « moyen » pour produire de l’information.

Nous en faisons partie.
Paris le 15 janvier 2007

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